L’usine Doré-Doré : la fin d’un fleuron national du textile français

L’usine Doré-Doré : la fin d’un fleuron national du textile français

Pour cette nouvelle exploration, je vous invite à vous infiltrer à mes côtés dans cette immense friche industrielle. L’usine Doré-Doré de Fontaine-les-Grés a fermé ses portes à la fin de l’année 2011. Ce site industriel était la dernière unité de production française de la marque. Aujourd’hui, une décennie après sa fermeture, il est toujours à l’abandon et dans l’attente d’un projet de réhabilitation. Néanmoins, le site est gardienné et surveillé, c’est pourquoi je vous déconseille de vous y rendre sans autorisation.

Une organisation ficelée

L’activité de l’usine Doré-Doré débute au début du 19ème siècle. A cette époque, la production bonnetière n’est pas regroupée sur le même site mais éclatée dans tous les villages du canton. En effet, la plupart du tissage se fait de manière artisanale, à domicile, avec du financement ou des prêts de machines. L’organisation est similaire à celle de l’industrie textile chinoise actuelle.

Des intermédiaires font la navette entre les petits ateliers dissimilés dans les villages aux alentours. Ils apportent les matières premières et récupèrent la production. Puis, à l’usine, des contremaîtres s’assurent également du niveau de qualité de cette production réputée au niveau mondial et de la bonne tenue des ateliers. L’usine regroupe également les fonctions administratives de l’activité ainsi que les ateliers mécaniques. Au début du 20ème, avant la Première Guerre Mondiale, l’entreprise emploie un millier d’ouvriers. Seulement un tiers d’entre eux travaillent réellement sur le site de l’usine de Fontaine-les-Grès.

Un village qui s’étend au fil de l’eau

Cette organisation évolue après la fin de la Première Guerre Mondiale jusqu’aux années trente. Le site s’étend considérablement, avec l’édifice d’une salle des machines comprenant une chaufferie et une cheminée. Le village de Fontaine les Grès, situé à une vingtaine de kilomètres de Troyes, se développe alors autour de l’usine Doré-Doré. Comme il était courant au 19eme siècle dans les bassins industriels, le directeur André Doré construit des logements individuels et collectifs pour accueillir les ouvriers. Il offre des conditions avantageuses aux artisans souhaitant s’installer dans le village.

C’est à cette période que des commerces de proximité voient le jour. Le dirigeant, figure paternaliste du textile dans l’Aube, a la volonté d’organiser la vie du village autour de la production. Il contribue au développement des loisirs en construisant un cinéma, un stade et une salle de spectacles. Je vous avais déjà présenté le Théâtre Jeusette dans un article précédent, calquée sur la même organisation industrielle. Dans les locaux de l’usine, l’industriel organise une prise en charge des soins de santé avec la présence d’un médecin, d’un dentiste et d’infirmières. Tout est pensé pour attirer et fidéliser les ouvriers.

La machine est mise en route

En 1926, la marque Doré-Doré se développe à l’international et crée la socquette enfant. Le succès entraîne l’ouverture du premier magasin de la chaîne en 1929. Quoi de mieux que l’ouverture de ce point de vente à l’entrée de l’usine ? La marque lance dans la foulée, sa première campagne de publicité intitulée « Les petits matelots » et illustrée par le dessinateur Gad. Les matelots sont utilisés comme mascottes jusqu’au début des années soixante-dix et participent à l’essor de la notoriété de la marque. C’est alors l’apogée de la marque, l’usine Doré-Doré de Fontaine-lès-Grès emploie plus de 1700 salariés en 1970.

Un avenir cousu de fil blanc

Dans les années quatre-vingt, la crise du textile va marquer le début du déclin de ce fleuron national. Toujours concurrencée par des entreprises étrangères aux couts de production plus faibles, la marque perd des parts de marché. Les usines satellites ferment progressivement. Le réseau des ateliers familiaux ne passe pas l’an 2000. Le groupe décide toutefois de s’orienter dans le haut de gamme, et modernise son usine et ses chaînes de production.

Néanmoins, l’entreprise a de plus en plus de difficultés financières et doit céder une partie de son patrimoine immobilier à la commune. Au début du 21ème siècle, Doré-Doré est placée en redressement judiciaire et reprise par un groupe italien haut de gamme, l’italien Gallo. En 2011, ce nouveau propriétaire décide d’arrêter la production et de fermer l’usine Doré-Doré de Fontaine les Grès. Cet arrêt entraîne le licenciement de quarante-huit personnes. Tous les métiers de production sont supprimés : du bonnetier à la remmailleuse. Le site sera vite déserté.

Motus et bouche cousue

C’est en 2015 que j’ai la chance de pouvoir m’infiltrer dans cette friche industrielle. Ma montre indique le 16 aout, il est pratiquement midi et il n’y a pas une âme qui vit dans le petit village. Le long de la route, un grillage soulevé, permet de s’insérer en moins de vingt secondes sur le site. Je suis accompagné d’une personne qui a déjà visité le lieu, ce qui a des avantages pour un site aussi grand. Il m’amène directement voir les points intéressants et il sait déjà se repérer. De plus, nous ne pouvons pas rester plus de deux heures sur place, le programme de la journée étant très chargé.

Ma visite commence par l’atelier de production. Je tombe rapidement sous le charme de cette magnifique pièce à la peinture rose et aux reflets bleutés. La peinture du plafond commence à craqueler et à se déposer sur le sol entre les machines de tissage. Certaines bobines de fils colorés sont encore présentes. Ici et là, quelques jambes en plastique trainent. Au mur, la peinture s’écaille également, rendant l’atmosphère particulière. Sur certaines étagères, il reste des tas de chaussettes, sur d’autres, des listings d’anciennes commandes.

Je continue ensuite par d’autres bâtiments ou des machines à tisser plus récentes, trônent. Je suis déconcerté, j’ai l’impression que l’usine s’est arrêtée la veille. Puis j’arrive sur les anciens quais de livraison. C’est ici que les marchandises de matières premières arrivaient et que les produits finis partaient pour être vendu. De l’autre côté de la cour, je distingue un bâtiment plus ancien avec un toit en verrière. Je jette un coup d’œil rapide à l’heure. Il me reste une demi-heure.

Au fil de la visite

J’arrive dans les anciens ateliers de maintenance au pas de course. Soudain, l’odeur de l’huile de moteur me monte au nez. Je regarde une petite pièce sur ma droite et je comprends pourquoi en tombant nez à nez avec une imposante génératrice. Je me trouve dans l’ancienne chaufferie qui fournissait à l’époque l’énergie nécessaire aux machines de l’usine. Sur les établis, tous les outils sont encore là. Quelques pièces ont été retournées mais je me rends compte de la chance d’être au sein de cette ancienne usine de production de ce fleuron du textile. Le site est préservé de toutes dégradations humaines.

Je n’ai malheureusement pas plus de temps pour explorer les recoins de cette friche. Je me promets de revenir même si je n’ai jamais eu l’occasion d’y retourner. C’est à travers ce type d’explorations que ma démarche prend tout son sens. J’espère que ce reportage en hommage à ces ouvriers qui ont passé tant d’années entre ses murs, à tisser, vous aura plus.

8 commentaires

cette usine mérite de reprendre vie , car c’est un patrimoine que on a est qui ce pert hélas et quand ca veut reprendre on a plus les anciens pour forme ou alors c’est des personne de ou on a deslocaliser qui viens nous réapprendre le métier ce qui est cocas je trouve

Incroyable ! On a l’impression que les ouvriers sont partis précipitamment en laissant tout sur place !. A l’époque les patrons de ce type d’usine prenaient en charge la vie de leurs employés et prévoyaient tout : logements, education des enfants, divertissements, santé, etc.
Les patrons de Google n’ont rien inventé !
Cela me fait penser à l’usine Singer en allant à Vernon.
Merci Florent de nous conter l’histoire en plus des images.

Bonjour Florent,
De bien belles photos, comme d’habitude. C’est en regardant de près la porte du fumoir que je me suis rendu compte que Doré-Doré était vendu sous la marque « DD ». La marque existe toujours, je viens de visiter le site internet, seulement où est-ce fabriqué aujourd’hui ? Certainement dans des pays où le « coût du travail » (pour causer comme certains politicards ou journaleux de bas étage) est moindre qu’en France.
Je vois sur tes photos des machines qui fonctionnent sûrement encore, sans doute n’y a t-il plus d’ouvrières ou d’ouvriers sachant les faire fonctionner ou les entretenir. Le savoir-faire sacrifié sur l’autel de la rentabilité et de la compétitivité, beurk !
Mais très belles photos ! Merci.

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