Cela fait maintenant plus de vingt ans que le Stadium de Vitrolles ne vibre plus. Le silence a chassé les applaudissements. Seuls quelques craquements métalliques résonnent dans cet immense cube de béton. Fini l’apogée des années 90, les concerts bouillants et les compétitions sportives endiablées. Il est loin le temps ou IAM, Renaud, Goldman, Bashung, Noir Désir, se produisaient sur cette scène. Bien loin aussi le temps où des joueurs de handball de classe internationale comme Jackson Richardson ou Mirko Bašić faisaient le show.
Un projet ambitieux et controversé.
Tout commence en 1990, lorsque le marché est attribué à Rudy Ricciotti. Jeune architecte français, d’origine italienne, l’ingénieur fait du béton fibré ultra-haute-performance son matériau de prédilection. Le bâtiment en béton noir, érigé sur le site d’une ancienne décharge de bauxite, coûte plus de 7 millions d’euros. Planté à la périphérie de Vitrolles, le long de l’autoroute et à proximité de la gare SNCF, il abrite 5000 places et doit accueillir concerts comme événements sportifs.
Controversé depuis sa création, le « cube », comme il est souvent surnommé, est un édifice à part, au destin qui l’est tout autant. En effet, touché par de nombreuses polémiques, il ne trouvera malheureusement jamais sa place dans le paysage phocéen. « Que ce soient les élus de gauche, de droite, les écolos, les cultureux, tout le monde était d’accord pour détester cet endroit » affirma Rudy Ricciotti.
Néanmoins, le Stadium de Vitrolles est inauguré en 1994 avec un concert du groupe IAM, figure incontournable du rap marseillais. Pendant quatre années, le lieu va mixer concerts d’artistes emblématiques et compétitions sportives. La salle accueille également l’OM Vitrolles, club de handball géré par Jean-Claude Tapie, frère de Bernard. L’équipe est alors au sommet du hand français et compte dans ses rangs des joueurs de classe mondiale. Cependant, le club ne tiendra pas longtemps, pris dans les tourmentes de l’affaire footballistique de corruption VA OM. Les salaires mirobolants pour l’époque contribuent à creuser un déficit d’environ trois millions de francs qui ne sera jamais comblé par les dirigeants. À l’été 1996, le club dépose le bilan, puis est rétrogradé en troisième division avant de disparaître.
Un contexte politique qui scelle sa fermeture.
En février 1997, la région assiste à un séisme politique. A l’époque, l’extrême droite n’atteint pas des niveaux d’adhérents tels qu’aujourd’hui. La candidate du Front National, Catherine Mégret, est élue maire de Vitrolles. Cette élection fait couler beaucoup d’encres. En effet, la commune avait été obligée de réaliser de nouvelles élections pour cause d’irrégularités lors du scrutin précédent. A noter également que derrière l’élue, plane l’ombre de son mari, Bruno Mégret, alors numéro 2 du parti. Il n’avait pu se présenter car il avait dépassé le montant autorisé de frais de campagne.
Vitrolles devient alors un laboratoire à ciel ouvert de l’extrême droite et du FN. Des rues sont renommées : l’avenue François-Mitterrand devient « avenue de Marseille », la place Nelson-Mandela « place de Provence ». Les associations de la commune se voient amputées d’une bonne partie de leurs subventions. La directrice du cinéma municipal quant à elle, doit faire face à des accusations de programmation de « films X », alors qu’il s’agit de vidéos de prévention contre le sida. Le Stadium est également dans le viseur du couple. La salle est définie comme le symbole du gaspillage de l’argent public du prédécesseur. Elle est comparée à la Kaaba de La Mecque et jugée comme un lieu destiné aux « Arabes et aux pédés ».
Une fermeture inévitable et une reconversion qui se fait attendre.
À l’automne 1998, un événement va accélérer la fermeture du Stadium de Vitrolles. Bruno Mégret et son bras droit Hubert Fayard font le forcing auprès de l’équipe municipale pour organiser un concert de rock identitaire au Stadium. A l’époque, les billetteries historiques refusent de vendre les billets. Néanmoins, l’événement est maintenu : malgré le climat tendu autour du concert, il a lieu sur le parking. L’événement sera un véritable fiasco et la mairie sautera sur l’occasion pour fermer la salle de spectacles. Vous trouverez ci-joint un article de la revue Reflexes (revue animée collectivement par des étudiants et des militants d’extrême gauche) expliquant plus précisément les coulisses de ce concert.
Le Stadium de Vitrolles n’a jamais été aussi prêt d’entamer sa seconde vie. Depuis 1998, plusieurs projets ont tenté d’éclore. Une association s’est créé « la Renaissance du Stadium ». Dans les années 2000, il a été proposé au Cirque du Soleil de Montréal qui souhaitait obtenir une salle pour se fixer en Europe. Cependant, le projet n’a pas abouti. Puis, une autre idée, plus saugrenue, a consisté à vouloir transformer le cube en musée de la Citroën AX. A ce jour, le lieu est sécurisé. L’eau et l’électricité semblent être à nouveau en service et l’on parle que la salle pourrait accueillir des spectacles du Festival d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence. Affaire à suivre !
Retour en 2016
Cinq heures du matin. La sonnerie du réveil résonne pendant plusieurs dizaines de secondes avant que je puisse l’éteindre. La levée du corps est difficile après une journée comme celle d’hier. En effet, la veille, je voyageais en Catalogne, une longue journée de route ponctuée par de belles visites de lieux oubliés. Je fais étape près de Perpignan avant de repartir avec la même équipe pour explorer sur l’arc méditerranéen. Il y a encore quelques heures, j’étais en plein carnaval de village à immortaliser un ancien cinéma.
Nous arrivons devant l’immense cube en béton aux alentours de midi. L’ambiance est particulière. Le soleil de février éclaire les terres aux nuances terracotta, qui l’entoure. La structure sombre et taguée du Stadium de Vitrolles tranche avec son environnement extérieur. L’édifice quant à lui est impressionnant, très froid et imposant. Sur le parking, quelques caravanes trainent avec des badauds observant nos allées et venues. Les chiens aboient en continu après les sacs plastiques tourbillonnant à cause du mistral. De nombreux déchets sont accumulés aux quatre coins du terrain, on croirait une décharge publique.
Plongé dans l’obscurité.
Il ne faut pas tergiverser longtemps. Rapidement, j’emboîte le pas du groupe et nous descendons les quelques marches pour nous engouffrer dans le monstre de béton. A l’intérieur, peu de lumière. Il fait très sombre et nous évoluons avec nos lampes torches. Seulement quelques rayons de soleil percent à travers les trous de la structure. Je ne me sens pas rassuré, je ne sais pas ce que je vais trouver à l’intérieur et je crains de tomber sur un squat. Je m’aperçois qu’il y a régulièrement du passage. Des graffitis commencent à fleurir sur les murs de l’enceinte tandis que le mobilier commence à être vandalisé.
Après un quart d’heure à vérifier les moindres coins du Stadium, je commence à sortir mon matériel photo afin d’immortaliser le spectacle qui s’offre à mes yeux. Cependant, les prises de vues sont compliquées, le peu de lumière handicapant le cadrage et la mise au point. Certes, l’album n’est pas conséquent mais il vous permettra de vous plonger à travers ce lieu à la fois incroyable et controversé. J’espère que cette exploration vous aura plu. Je vous donne rendez-vous très prochainement pour de nouvelles aventures.
Merci pour la découverte de ce lieu qui j’espère pourra vivre à nouveau.
Je l’espère aussi. Il est à ce jour sécurisé. En espérant qu’il soit bientôt réhabilité.
On pourrait presque croire que le concert va bientôt débuter quand on regarde vite fait, j’aurais aimé traîner dans les loges…
Les loges étaient plongées dans l’obscurité et déjà vandalisées.