Ces dernières années, la pratique de l’exploration urbaine (urbex) a explosé, instaurant une véritable mode. En effet, de plus en plus de groupes sont sur les routes pour découvrir ce qu’il se cache derrière les portes closes. Cet engouement entraîne une course à l’exclusivité poussant quelques-uns à s’affranchir des limites, notamment en cassant pour accéder à des endroits jamais explorés. Dans cette nouvelle communauté, l’échange d’adresses se démocratise et certains lieux finissent saccagés et pillés en quelques semaines. C’est ce que je vais tenter de vous raconter à travers l’article dédié à la visite du château Sécession.
Lorsque j’ai commencé l’exploration au début des années 2010, je rencontrais peu de groupe dans un manoir ou une usine, alors qu’actuellement il est fréquent d’en croiser. Certains y vont pour le frisson et braver l’interdit, d’autres par curiosité ou comme moi pour l’immortaliser photographiquement. Tous sont loin d’être discrets et respectueux. Les dégradations dues aux nombreux passages, les actes de vandalisme et les incendies sont devenus monnaie courante.
A la découverte du château Sécession
Une heure et demie à ma montre. Tout semble calme en ce jeudi de février dans le petit village picard du Quesnel. Seul un bruit de tronçonneuse résonne dans le bourg. L’immense silhouette du château Sécession se dresse peu à peu devant nous. Le parc est entouré d’un énorme mur d’enceinte infranchissable. L’accès se fait à l’arrière par un portail rouillé grand ouvert. L’herbe écrasée dans le parc indique le passage régulier de personnes. Il ne manque que la pancarte, « c’est par là ».
Il est clair que je ne suis pas le premier à me balader dans la cour. Derrière un énorme arbre, le château se dévoile peu à peu. C’est une immense bâtisse élevée sur trois étages, fortement abimée par le temps, les deux ailes au bord de l’éboulement sont ouvertes aux quatre vents.
Drôle de coïncidence !
Des bruits résonnent. Aucun doute, il y a déjà du monde à l’intérieur. Immédiatement je me pose la question : « Sont-ce des explorateurs ou les propriétaires ? ». Je tire alors lentement un volet et tombe directement sur une fenêtre ouverte que j’enjambe. Dans la pièce, un groupe de trois photographes finalise le réglage de leurs appareils. Parmi eux, je reconnais une exploratrice alsacienne avec qui je communique depuis plusieurs mois sur les réseaux sociaux. Après quelques banalités échangées, elle m’indique qu’elle est sur le départ, le lieu étant truffé de photographes rendant impossible la moindre prise de vue. Se croiser dans un endroit abandonné à plusieurs centaines de kilomètres de nos domiciles est une façon originale de se rencontrer.
Je m’engage dans le couloir et découvre un groupe d’anglais tout juste majeur. Un signe de la main, une formule de politesse, je continue ma prospection pour atteindre le premier étage. Le palier est bloqué par une file d’attente où un groupe de cinq parisiens attendent, appareil photo à la main. L’un d’entre eux m’interpelle : « on est plus d’une vingtaine, c’est n’importe quoi ! Il y a des anglais, des alsaciens, des allemands, des nordistes et maintenant des normands. Voilà dix minutes que j’attends pour entrer immortaliser cette chambre. C’est une attraction, tout le monde prend les mêmes clichés. ».
Une affluence digne d’un musée
Décidément, je ne pensais pas me retrouver un jour dans un château abandonné en compagnie d’une vingtaine de personnes de trois nationalités différentes ! Complètement désorienté, je ne me sens pas du tout à l’aise et songe à faire demi-tour. Je continue pourtant d’avancer en essayant de ne pas apparaître sur la prise de vue d’un collègue.
Sur ma gauche, une seconde chambre est occupée, ce coup-ci par un groupe de trentenaire allemands qui tente de maîtriser la luminosité vive passant à travers les volets. Je décide de progresser vers le second étage qui semble plus calme. Je trouve enfin une pièce libre et commence à préparer mon matériel. Avec tout ce monde, je rencontre des difficultés pour m’imprégner du lieu, l’ambiance n’étant guère propice. Néanmoins, je remarque que les pièces de cet immense manoir sont magnifiques. Je décide donc de rester, de me faire discret et de capturer quelques prises de vues tout en prenant mon temps.
Réaliser le moindre cliché est une réelle épreuve.
Sur une pose longue, j’arrive à obtenir trois personnes passant devant mon objectif. Il faut donc réitérer et prendre encore plus de temps. Les deux pièces principales du rez-de-chaussée sont magnifiques. Dans l’une d’entre elles, trône un immense billard. Dans l’autre, on retrouve des drapeaux et un canon réalisé avec une gouttière. Une file d’attente s’est créée au niveau de la porte et chacun attend son tour pour capter la scène. Durant cette attente, je médite : « c’est donc devenu cela l’exploration ? Explorer un lieu abandonné, c’est aussi s’évader pour se retrouver seul, plonger dans la pénombre du lieu, tout en discrétion et en silence. On se croirait dans un parc d’attractions. ». Je pourrais certes partir mais l’appel de la photographie prend le dessus et maintenant que je suis à l’intérieur, j’ai envie de ressortir avec des photos.
Je décide de quitter le rez-de-chaussée, trop de monde, trop d’attente. J’ouvre une porte et j’accède encore à une nouvelle chambre. Tout de suite, une odeur forte de tabac et d’herbe me monte au nez. En face de moi, une fille est allongée en lingerie, cigarette à la main. Il faut une sacrée dose de courage pour s’allonger sur une telle paillasse à moitié nue. Derrière la porte, un photographe m’explique qu’il vient de finaliser son shooting modèle pin-up. Quel cirque ! Heureusement, encore deux qui quittent l’endroit.
Retour au calme.
Je n’ai jamais apprécié partager mes visites avec d’autres personnes. Je vous en ai d’ailleurs parlé dans un précédent article. Le risque de se faire repérer lorsqu’il y a trop de mouvements autour ou à l’intérieur du site est beaucoup plus important. Et même une fois rentré, j’ai tendance régulièrement à m’isoler de mes compagnons d’expédition. J’aime bien cette solitude qui me permet de ressentir l’atmosphère, me laisser porter par la découverte, observer les pièces et imaginer ce qui a pu s’y passer. C’est grâce à cette immersion particulière que mes clichés reflètent mes émotions.
En sortant de la chambre, je constate que plusieurs groupes sont partis. Le calme revient peu à peu et le charme de ce château en décrépitude commence à se faire ressentir. Le soleil fait son apparition et vient s’engouffrer entre les lames des persiennes. Même si je sais qu’au fond, chaque pièce est une accumulation de mises en scène, je ne peux renier l’esthétisme et la beauté photographique du lieu. Cette lumière apporte une magie et me fait oublier rapidement le début de la visite.
Le château Sécession part en fumée.
Entre 2016 et 2019, une multitude d’explorateurs urbex d’horizons différents se succéderont et fouleront le parquet humide du château Sécession tombant en ruine. Au fur et à mesure des publications, d’année en année, je constate que de nombreux objets disparaissent, que des meubles sont déplacés ou pillés. Il est clair que l’adresse est tombée dans les mains de personnes mal intentionnées. Des habitants du village parlent dans la presse régionale de squats réguliers. Dans la communauté urbex, la rumeur d’un photographe hollandais poursuivi par le propriétaire puis chassé à coup de fusil endommageant son matériel photographique, s’amplifie de jour en jour sur les forums. Quelques-uns indiquent que le site a été muré et protégé. D’autres, qu’il est surveillé et que la gendarmerie fait des rondes régulièrement.
Pourtant, de nouveaux clichés continuent à apparaître montrant toujours plus de dégradations. Des vidéos sont publiées dans lesquelles on voit des pièces retournées, des meubles vandalisés. Le triste dénouement a lieu le lundi 10 décembre 2018 lorsque les pompiers sont appelés aux alentours de 18 heures pour un incendie. Le château du Quesnel restera en proie aux flammes pendant plusieurs heures pour devenir une véritable ruine. Seule la structure en pierres survivra au feu.
Retour sur l’histoire du château du Quesnel
Aujourd’hui, il ne reste plus que la façade du château Sécession. La commune du Quesnel en Picardie a retrouvé le calme. Construit au 12ème siècle, l’architecture du château Sécession a évolué au fil des époques. Durant la Première Guerre mondiale, le bâtiment fut occupé par un état-major allemand, puis endommagé par les bombardements et saccagé par les troupes. Un vicomte le fit restaurer après la guerre et le laissa à sa fille. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, la propriété est à nouveau prise d’assaut par l’armée allemande. A la fin du conflit, la propriété resta inhabitée et fut finalement vendue en 1985 à un avocat parisien. Celui-ci n’entreprit aucun travaux d’entretien ou de rénovation le laissant tomber en ruine. Une partie d’un pavillon s’est effondré à la fin des années 90 pour finir ravagé par ce terrible à la fin de l’année 2018.
Cette expédition renforcera mon envie de préserver ces lieux et ma discrétion quant à ma pratique et aux adresses. En ce jour de février 2016, j’ai compris que l’exploration avait évolué, devenue un véritable effet de mode, et que ces visites en masse n’auront qu’un effet néfaste et dégradant pour les lieux mais aussi pour la pratique de l’urbex.
Retrouvez plus de photographies et d’explorations au quotidien sur mon compte Instagram.
Jolie reportage d’une tristre réalité.
Merci beaucoup pour votre passage et pour votre retour Francine
Votre plume décrit parfaitement le fléau de l’urbex sur la conservation des monuments. L’Urbex est devenu un phénomène de mode, on croyait les jeunes sur les réseaux sociaux… mais non, ils grappillent un peu du passé. Rappelons nous cependant que ses lieux ne sont pas préservés principalement pour des causes de successions… Voleurs de prises vues du temps passé, explorer quelques endroits encore non retournés… nous laissera peut être l’envie de croire encore un peu que l’on peut arrêter le temps.
Merci Christelle. Certes, à travers mes clichés, j’entraine surement de nouvelles personnes à partir à l’aventure des lieux oubliés. J’espère juste qu’ils respecteront ces lieux remplis de mémoire et d’histoires.
Terriblement bien résumé sur l’issue de mon chouchou, et vos photos resteront parmi celles qui l’aura mis le mieux en valeur.
Merci Fanny. Je prends cela comme un compliment.
Beau reportage comme toujours. Triste fin pour ce château, que les gens peuvent être idiots… Quel dommage de ne pouvoir préserver ces lieux d’histoire !
Merci beaucoup Véronique. Cela m’invite à continuer ces récits.